mardi 2 février 2010

Nouvelle n°4 : "Expédition pour la capitale"

Avant le crépuscule, j’aimais bien aller me poster sur la berge de la rivière, alors ouverte sur la mer, pour tâcher de découvrir dans le lointain la goélette du Capitaine Youtou d’ascendance brésilienne, marin éprouvé, fondu dans la population avec son chargement venant de Cayenne. Parce qu’à cette époque, la voie terrestre ne servait pas à grand chose. L’essentiel du ravitaillement se faisait par la mer et cet unique voilier.
Mais, il fallait attendre la soirée pour le voir jeter l’ancre à distance, et selon ses propres raisons. En effet le lendemain, j’entendais mon père qui tenait son petit commerce, vouer au diable notre Youtou qui lui livrait des barils de vin et autres chargements entamés mais le restant, additionné d’eau de mer pour assurer le complément de la contenance soustraite.
- "Avarie de mer", glissait-il d’un ton compatissant aux commerçants outrés. Ce qui me faisait rappeler l’indignation de mon collègue enseignant, en fin de séjour. Emile, regagnant Cayenne avec à bord, ses croucrous de canards et autres volatiles qu’il avait péniblement élevés dans sa cour d’école. Durant la traversée qui pouvait durer plusieurs jours, selon les caprices du vent et de la marée, les passagers se voyaient offrir généreusement des menus de victuailles. Le moyen de refuser, avec le strict confort du petit voilier et de la convivialité obligée de mise. C’est au débarquement au quai de Cayenne que mon collègue s’aperçut que son chargement de volailles avait été sérieusement mis à contribution. Dans l’intérêt général des passagers et de l’équipage.
C’était l’unique moyen de transport en quantité de marchandises, provenant du chef-lieu. Et pourtant le voyage avait tout son agrément. Se trouver en pleine mer. La côte se dessinant dans le lointain à peine. L’équipage pêchait durant le parcours, assurant en un ravitaillement en poisson frais. Blaff tout chaud et pimentade à foison. C’est avec plaisir que j’écoutais les marins raconter leurs aventures, le soir, comme à la veillée interminable, car on finissait par s’endormir où cela se pouvait, faute de mieux. C’était le récit de pêche miraculeuse, comme les parties de chasse, chasse d’amateurs… Comment oublier les couchers et les levers du soleil dans leur magnificence naturelle ! Aussi, le ballet des marsouins et, plus impressionnante, la ronde de requins, et d’autres occupants de la mer comme contents de nous faire un bout de conduite.
On restait ainsi jusqu’à une heure avancée de la nuit, les conversations ayant cessé, charmé dans cette ambiance et ce grand calme jusqu’à sombrer dans un endormissement total entier au sein de la nature, amie complaisante, mais aussi changeante d’humeur. Comme ce jour de tempête qui mettait le petit voilier bien en péril ! Et ce vieux marin voyant le bateau allant se briser sur les Battures lança ses paroles de défi à ses compagnons transis de peur:
- "Zaffai cô neg qui prend plomb !" et se jeta à la mer pour gagner la côte proche. Le moment d'après les camarades épouvantés, aperçurent des requins qui virevoltaient sur une mer rouge du sang du fougueux téméraire.
Par temps calme, naviguant proche de la cote, en écoutant d'autres souvenirs plus attrayants, nous arrivait la voix du timonier debout à l'avant affairer à jeter et à relever la sonde, répéter machinalement:
- " Même fond, même nature " ou subitement "Vase molle, palaviré !" Et alors le petit voilier carguait ses voiles, obéissait au timonier attentif au signal du guide et qui poursuivait intarissablement de satisfaire ma curiosité de terrier, non initié, émerveillé, buvant ses paroles.
Par la suite, le transport terrestre devenant plus praticable par la route coloniale, encore piste à peine aménagée. J'ai comparé à mes dépens. Enfermé dans un véhicule incommode, coincé entre passagers, encombrés par les colis de la tête aux pieds, secoués comme les éléments d'un cocktail, couvert de poussières. Comme me manquaient le coucher et le lever du soleil, le clair de lune sur la mer se révélait appréciable. Le mal de mer ou de transport n'entrant point en ligne de compte.
Souvent l'on avait eu plus le choix du service public, le déplacement maritime devenait moins accessible, plus rare et aussi précaire. Mais cependant toute médaille a son revers. Car le trajet routier se présenta comme le moindre mal et grâce à quelques améliorations du conditionnement fut supportable pour ses usagers. Avec l'amélioration des véhicules, adaptés, l'obligation d'un certain entretien précaire, de la route coloniale, de transport en commun.
Les entrepreneurs, pour ne citer que Monsieur Langlet, s'arrangeaient à leurs propres bénéfices pour agrémenter les conditionnements ne seraient ce que les pauses casse-croûtes, le verre de lait fraîchement tiré et mousseux à souhait.
Il y avait aussi, la dégustation de fruits cueillis à volonté et les achats de produits frais et à bon compte, quand ce n'était pas offert gentiment.
Et avec cet accueil que tout le long de la route que vous réservaient les riverains, on retrouvait une parenté, des connaissances. Surtout une sympathie qui réchauffait les cœurs, redonnait de l'ardeur aux membres engourdis. Ainsi s'oubliait, le côté pénible du voyage.
L'on se retrouvait rendu au chef lieu, sans rancœur. Des heures et des heures d'engourdissement oubliées, avec en tête mes rencontres agréables ou même peu. Tout se confondant au mieux, car on était tellement heureux d'arriver au bout de ses peines. Recrues de fatigue, les péripéties d’un voyage poussiéreux mais satisfait d'en avoir fini et être arrivé au bout du compte.
Cette chanson célèbre "La Malmanourienne" est un chef d'œuvre de vérité et d'humour caustique qui fait honneur à son auteur. Et tout au long, les habitués de ce périple vous racontaient avec véracité les faits qui se sont déroulés sur certains points du trajet. Où lors d'un changement de trajet, un orpailleur qui parcourait à pieds un chemin arboré et ombrageux, tua son compagnon en pleine journée pour lui dérober sa récolte d’or.
Ou encore plus loin, un passager mourant de soif, se désaltéra en marchant proche de Macouria, cueilli un melon d'eau, dans un abattis au bord de la route. Dans sa honte, il fit couler du jus, sur son corps. Puis désaltéré, à peu près frais, reprit sa route. Qu'était-ce qu’un fruit de moins pour la récolte. N'empêche que le malheureux, sentit des picotements qui devinrent atroces. Des termites carnivores le dévoraient à petit feu, tout vivant. Alertes par ces cris, des habitants vinrent à son secours. Du jus de melon d'eau, leur servit de remède. Et notre imprudent qui s'en alla, jura qu'on ne l’y reprendrait plus.
L'heure d'arrivée à Cayenne, ne tourmentait pas les voyageurs car les bacs se suivaient et selon leurs horaires fixes, donc pas question alors pour le chauffeur, les yeux vissés sur son tableau de bord ne se levant à aucun moment d’apprécier le décor du paysage traversé avec trombe. Ses passagers eux, pouvaient apprécier l’environnement immédiat, qu’offrait cette belle nature guyanaise.

dimanche 12 avril 2009

Nouvelle n°3 "La rose merveilleuse"

Il était une fois, vivait un roi et une reine, jeunes encore qui appréciaient la joie de leur existence. Ils eurent deux fils jumeaux, qui en grandissant se révélaient différents de caractère. Autant l'un manifestait son tempérament autoritaire, autant l'autre paraissait sentimental.
Le moment arriva pour leurs parents de prendre en compte leur avenir et de leur assurer une éducation en conséquence. Le souverain fit donc rechercher partout des candidats dignes de confiance et choisit parmi eux, deux précepteurs réputés pour leur capacité et leur sagacité. Celui propre à la pratique des arts et des sciences se vit attribuer le fils à fort caractère, l'autre, amateur de la vraie nature, reçut la responsabilité du rejeton royal, plus calme d'apparence. Les deux enfants grandirent en âge et en sagesse, rendant honneur à l'aptitude de leurs éducateurs, et excellent surtout dans les particularités du savoir de chacun de leurs formateurs.
Tout le monde s'accordait pour les reconnaître en dehors de leur situation personnelle, une intelligence développée peu commune.
Les héritiers, devenus adultes formés, le souverain pensant à sa succession voulu que le contact avec les réalités de la vie acheva leur formation. Aussi décida t-il de les faire voyager de par le monde, et leur demanda de lui rapporter, au retour, la rose la plus merveilleuse existant sur la terre. Les deux intéressés, en communion d'idée, résolurent d'aller en quête de leur précepteur, retourné, depuis chacun dans leur pays d'origine.
Le premier retrouva son éducateur installé orfèvre émérite, et lui révéla la raison de sa visite. C'est de pouvoir disposer d'une rose à nulle autre pareille qui ferait plaisir à son père et pourrait de ce fait lui assurer la succession paternelle.
- J'ai ce qu'il faut car j'avais pressenti que je serai à même de te rendre ce service. Après mon départ, j'ai invité puis travaillé à fabriquer une rose avec des pierres précieuses les plus rares, possédant les vertus que j'ai découvertes et amélioré. C'est la reproduction exacte d'une fleur qui reflète au naturel toutes les nuances. Accorde-moi le temps de parfaire mon ouvrage.
Ce qui fut fait et ensemble, ils revinrent à la cour du roi où chacun, comme le souverain demeura en admiration, devant cette merveille inimaginable. Et comme le second fils se faisait attendre, ne donnant plus signe de vie, le sort semblait ne pas s’être prononcé en sa faveur.
Cependant il était effectivement parti pour retrouver son éducateur qui lui avait donné un penchant pour les plantes ornementales, et c'est pourquoi, seule une coïncidence lui permit de découvrir sa retraite modeste et mystérieuse à force de persistance.
En insistant, on lui indiqua où habitait un étrange personnage, père d'une fille d'une divine beauté, qu'il tenait isolée, en même temps qu'une rose aux vertus exceptionnelles. Paraît-il, son pouvoir lui permettait de transmettre à la rose, la carnation humaine et même le don de la parole. Mais on lui prédit qu'il n'avait, comme beaucoup d'autres, aucune chance d'être accueilli.
La demeure restait obstinément close. Mais le jeune homme pressentait que son destin, était lié à son admission dans cette maison hostile et demeurait aux aguets, a l'affût d'une occasion opportune. Il se présenta enfin, un jour, déguisé en jardinier, et frappa à la porte. Il était à bout de patience, lorsqu'un judas s'entrouvrit et allait se refermer. Il se produisit en cet instant un échange d'influence lorsqu'on accepta enfin de le faire rentrer.
- J'attendais ta visite depuis un certain temps, car par prémonition, je travaillais déjà à préparer cette rose qui doit faire ton bonheur.
- Je sais que mon confrère a réussi une merveille, tout en pierreries, mais qui est sans âme. Je te réserve une rose naturelle qui parfume aux différentes heures de la journée et revêt une carnation à l'image de ma fille qui l'accompagnera. Et c'est mon enfant, une beauté qui charmera sans recours. Il te faudra rester un peu de temps encore pour que je te communique mes pouvoirs. Ce qui fut fait, mais aussi... a naissance d'un sentiment amoureux qui se fondit dans le cœur des jeunes gens comme un filtre divin.
Il fallait ne plus tarder ; car la nouvelle se répandait qu'un fils du roi était revenu avec une rose merveilleuse et que l'on était sans nouvelles de son frère jumeau qui allait perdre toutes ses chances.
L'on se mit donc en route, avec la rose et sa protectrice.
Entre temps le premier fils arrivé avait mis en place des agents devant le prévenir, à toutes fins utiles. Si bien qu'il apprit que son frère était non seulement vivant, mais avait trouvé aussi une rose à nulle autre pareille.
Furieux, il fit placer un guet-apens sur son chemin de retour. Et un soir que son rival se reposait dans un hôtel, ses sbires l'assassinèrent et le jetèrent dans la fosse avec la fameuse rose. Cependant, le roi et la reine qui cachaient une préférence pour ce fils retardataire, gardaient un secret espoir de le revoir ; même débouté. Ils se décidèrent, en fin de compte, d'avoir par eux-mêmes des nouvelles et se mirent en mouvement.
Un jour, ils apprirent la découverte d'une rose qui parlait. Un témoin leur rapporta avoir entendu la complainte : " Écoutez-moi; c'est mon frère qui m'a mis là". Parce que j'avais gagné le royaume de mon père.
Lorsque le frère se dépêchant, fut en présence de ce qui restait du rosier il écouta épouvanté la prière accusatrice. Surexcité, il fit couper au ras du sol la plante. Le roi arriva à son tour jusqu'à l'auberge où avait été enterrée la dépouille, alors il entendit de ses propres oreilles la même complainte, adressée à lui "Écoutez, écoutez mon père, c'est mon frère qui m'a mis là, parce que j'avais trouvé la rose la plus belle, parce que j'aurais gagné le royaume de mon père"
Il fit sur-le-champ arrêter son fils dévoyé et ordonna le transfert de la dépouille de l'enfant chéri martyrisé.
C'est alors qu'apparut la fille tenant à la main un flacon dont elle répandit le contenu sur les restes de la victime qui revint à la vie dans toute sa splendeur. Et tout le monde heureux s'en revint à la cour royale. Ils vécurent longtemps après le mariage et rendirent heureux leurs sujets.

lundi 26 janvier 2009

Nouvelle n°2 "Le bal masqué"

Athénodore, jeune d'à peu près vingt ans, vivait en famille avec sa sœur cadette sur l'habitation de leurs parents à quelques kilomètres du bourg. Le gars "rongeait son frein", en attendant la soirée du samedi. Car il était l'invité de marque de son cousin Julien qui rendait son bouquet. Aussi redoublait-il d'attention dans ses faits et gestes, pour ne pas s'attirer aucune remarque d'insatisfaction de la part de ses proches, rendus parfois soucieux à la suite d'un drôle de rêve ou de choses étranges aperçues. Enfin, on ne sait quels pressentiments qui éclairent le sens de la vie de nos adultes chevronnés, mûris par l'expérience vécue. Sa cadette l'observait avec envie, parce qu'à cette époque, les jeunes filles à moins de se trouver dûment fiancées ou promises ne devaient pas être invitées dans un bal public. Notre Arthémise comptait sur le compte rendu fidèle de la soirée que son frère lui ferait avec complaisance les détails piquants et surtout le comportement de Robert, l'élu secret de son cœur. Athénodore accompagne son père ce samedi matin très tôt, afin de récolter, ignames et autres produits de ravitaillement de la maisonnée, en cette fin de semaine. Les deux s'entendaient bien et chemin faisant, échangèrent leurs idées. - De mon temps commença le père, j'ai toujours préféré comme danse, le Gragé. On peut parler avec les yeux à sa danseuse et lui faire comprendre bien des choses: " Causé rangé pa gain cassé ouéye " et ainsi de suite... Souvent d'autres conseils fusaient, de circonstance aussi pertinente. Enfin arriva, l'instant avant la tombée du jour où bien attifé, Athénodore dit au revoir aux siens. Tout en se hâtant, sans en avoir l'air, il se demandait quelle serait la dame de son choix? Les rares filles en perspective se trouvaient déjà retenues par leurs soupirants. Aussi escomptait-il une défaillance de cavaliers qui lui laisserait quelque assurance peu sure. Il fut fêté dès son arrivée dans un local accueillant les organisateurs n'ayant pas ménagé leurs soins pour rendre agréable la soirée sous la véranda garnie avec goût, de feuilles de maripas piquées de fleurs exotiques. Là, les joueurs de flûte accompagnés de chachas, et petits bois enflammaient danseurs et danseuses. Comme il s'y attendait toutes les dames tournaient aux bras de leurs cavaliers, sauf pourtant, une assise, qu'Athénodore agréablement surpris, manœuvra pour s'approcher et lui tendre la main. Mais tout en avançant notre homme se rendit compte qu'il ne la connaissait point. Les autres invités ne les dérangèrent d'ailleurs pas, pensant qu'ils s'étaient attendus. Aussi eurent-ils tout leur temps de se trouver des affinités. Et la soirée dansante s'écoula on ne peut mieux. Si bien qu'elle lui demanda bien avant le lever du jour de la reconduire chez ses parents qui n'habitaient pas trop loin, où ils venaient de s'installer. Athénodore ne se fit pas prier. Et ils s'éclipsèrent en douceur. Ils firent ensemble un bon bout de chemin, la fille servait de guide. Est-ce sous l'effet du charme enivrant de sa compagne, Athénodore s'aperçut cependant que le trajet lui était complètement inconnu. Il s'inquiéta. Ne se serait-elle pas égarée? Non car sa maisonnette bien avenante se dressait devant eux comme par enchantement. La fille lui recommanda de la suivre sans bruit pour ne pas troubler le sommeil de ses parents âgés et fatigués. Elle l'introduisit dans sa belle chambre. Et le reste s'ensuivit. Et quand Athénodore se réveilla et reprit conscience, il se trouvait étendu seul sur un tas d'épines. Il se garda bien d'en parler à ses copains. Mais il imagina pour sa petite sœur et ses parents, une soirée merveilleuse.

mardi 13 janvier 2009

Nouvelle n°1 : En créole, nous disons : « Rêle dos »...

Il y avait longtemps, très longtemps, Ti Jean vivait modestement avec sa maman dans un carbet au fond de la forêt. Un soir de ses vingt ans, il dit à sa mère : - J’ai bien réfléchi, je vais te quitter pour aller chercher à mieux vivre. Je te laisse un abattis bien planté, un poulailler bien pourvu, tu seras à l’abri du besoin. Je reviendrais, sois sûre. Et nous vivrons mieux. Sa maman lui répondit : - Va mon fils, que le bon Dieu te bénisse. Et lui cracha dans la main. Ti Jean s’arracha des bras de sa mère et s’en alla. Il marcha, marcha, jour et nuit et arriva dans un pays qui ne lui était pas connu. Instinctivement, il se dirigea vers la seule habitation, étrangement isolée, frappa à la porte. Enfin, la porte s’entrouvrit. Une voix angoissée lui dit : - Va ton chemin et vite.
Ti Jean retint la porte qui se refermait sur lui et pénétra de force dans la maison. - Vas ton chemin, lui cria la fille, ta vie est en danger. - Je n’ai peur de rien, répliqua Ti Jean. Arriva la mère atterrée, elle ne put qu’entraîner le jeune homme dans une cachette au fond de la cour. Chacun se terra. Il y eut un grand galop, un homme effrayant d’aspect, les yeux brillants, les narines dilatées, apparut.
- Femme, femme, cria t-il, je sens de la chair fraîche que je dévorerai ou ce sera une de vous. Je rentre sans avoir rien trouvé comme gibier humain. Je repars ce soir même, car je sens que vous m’avez fait une réserve dans le cachot. Elles le cajolèrent si bien qu’il s’endormit pour se réveiller et repartir en chasse. Très tôt donc le lendemain matin, il s’en fut. Ti Marie qui n’avait presque pas dormi de la nuit, alla tirer Ti Jean de son sommeil. - Sauvons nous car une mort atroce nous menace. Il nous faut fuir sans tarder. - Dans l’écurie proche, détache la plus vieille bête que tu verras, jette lui sur la tête cette couverture et attends moi près de la sortie. Pendant ce temps, elle alla faire ses besoins aux quatre coins de la cour. Elle rejoignit Ti Jean et en scelle, tous les deux, s’enfuirent à toute allure. En chemin, la fille découvrit la monture et faillit mourir de rage Ti Jean par précaution avait choisi la bête la plus fringante d’aspect, mais moins rapide. Nous sommes perdus, mon père pourra nous rattraper facilement. Mais heureusement, j’avais prévu le pire. En effet, dès son retour, le père, sans butin, décida de puiser dans sa réserve. Voyant les hésitations de sa femme, il comprit tout. Après l’avoir menacée de mort, il courut à l’écurie, où il constata qu’il manquait une bête. Un large sourire de satisfaction éclaira sa face bestiale. Son vieux cheval, le plus efficace restait en place. Il se mit en selle, s’arma d’un harpon et dans la cour, creusa un trou dans la terre. D’un coup jaillit du sang où la fille avait fait des besoins. Sûr de lui, l’homme fonça rageusement sur les traces de sa proie. Ses fuyards avaient parcouru du chemin. Lorsque Ti Marie reconnut qu’elle ressentait une chaleur dans son dos, son compagnon aussi, c’est que mon père se rapproche de nous et va nous rattraper. D’un panier qu’elle tenait avec précaution, elle sortit un œuf qu’elle brisa sur le sol. Aussitôt, ils se virent transformés en une mare où deux canards barbotaient tranquillement. Le moment d’après, leur poursuivant arrivait sur les lieux, certain de mettre la main sur les fugitifs. Le spectacle paisible des tranquilles oiseaux n’éveilla en rien son attention. Il crut avoir choisi trop précipitamment son premier chemin et revint à la maison pour de plus amples informations. Sa femme hébétée lui répéta n’être pour rien dans l’affaire. Mais effrayée s’il revenait bredouille du sort qui lui serait réservé, lui fit comprendre qu’il s’était fait prendre. La mare était le cheval, les deux canards, les fuyards. L’homme reprit sa poursuite forçant l’allure de son coursier. Pendant ce temps, Ti Marie avait brisé le deuxième œuf et redevenus eux-mêmes. Ils avaient repris leur course échevelée. Ils allaient bon train lorsque de nouveau, ils eurent la même sensation de chaleur presque insupportable cette fois. Ti Marie pensa que c’était leur dernière chance et que leur adversaire ne se laisserait pas abuser. Elle brisa donc le dernier œuf, leur ultime espoir d’être sauvés ! Et quand presque persuadé de les atteindre l’ogre déchaîné se trouva devant une petite chapelle située en terre bénite qui lui était interdite dont la cloche tintait annonçant la messe. Un prêtre, crucifix en main et aspergeait d’eau bénite s’écria : - Dominusvobuscum, que le seigneur soit avec vous. Le poursuivant lança par deux fois la main en vain pour attraper l’une et l’autre, victimes déjà réfugiées, sanctifiées et sauvées en terre divine. - Et c’est pourquoi, depuis les hommes et les femmes portent cette fente dans le dos. - En créole, nous disons : « Rêle dos » En compagnie de Ti Jean avec Ti Marie rejoignit sa mère et vécurent ensemble heureux.